20 micro-nouvelles internationales



Mon métier m’amène à voyager. Souvent, je me promène casque sur les oreilles. Des passant.es, des passager.es, des buveur.ses de café semblent alors jouer des scènes rien que pour moi. Pendant une année, j’ai décidé d’écrire ces moments quotidiens et involontairement théâtraux.

Barcelone – L’habitué
Il est assis dans un café.
A une petite table.
Sa grand mère à sa gauche.
Son père à sa droite.
Les symétries familiales sont parfois évidentes.
Ils parlent beaucoup, lui posent des questions qui se chevauchent.
Il a un regard éberlué, souriant et habitué.
Comme si, avec le temps, il était parvenu à s’amuser de cette façon de communiquer.

Barcelone – Chien et Gêne
Elle nettoie les pattes du chien avec un mouchoir.
A la sortie du parc.
Il se tient à côté d’elle. Ne participe pas à la tâche.
Il me regarde. Gêné.

Toulouse – La souriante
Elle envoie des sourires tout autour.
Même à son propre reflet dans la vitre.
C’est doux à observer quelqu’un qui se sourit.
Elle sourit même au chauffeur en descendant, tout à l’arrière du bus.
Il ne la voit pas et lui, ne sourit pas.

LausanneSagesse de feu rouge
Passage piéton.
Le feu est rouge.
Il n’y a aucune voiture.
D’un commun accord discret, nous sommes 10 à traverser en même temps.
Il hésite. Il nous regarde. Et il renonce. Reste immobile.
Je le croise en atteignant l’autre côté.
Il semble satisfait et rassuré de sa décision, bien plus sécure que la nôtre.

Genève Laisse-moi faire
Il est vieux.
Elle est vieille.
Ils sont tout petits.
Il pleut.
Elle a son manteau ouvert.
Il tente alors de le fermer.
Elle refuse d’un geste de la main.
Elle lui tend son parapluie afin qu’elle puisse le faire elle-même.

ToulouseTrop rapide
Sous-sol d’un bar.
Une salle éclairée au led.
Deux personnes.
Un slow sur une musique trop rapide.
Il sent ses cheveux et il sourit en fermant les yeux.

ParisSoulagée
Dans le métro.
Elle a son portable dans la main.
Je lis par dessus son épaule.
« Prends pas celui ci » « Prends le suivant, je suis dedans » « Dernière rame 2e porte ».
À chaque arrêt je me demande si elle/lui va être là.
C’est ma station.
Je descends.
Je me retourne, elle fait signe à quelqu’un, je regarde, il sourit.
Il monte.
J’ai envie de les féliciter.
Je ne dis rien.
Je pars en souriant.

Grandson – Rupture
Café du commerce.
Service de midi.
Assis à une petite table.
Elle le fixe d’un regard droit, dur et inquiet.
Il parle en laissant traîner son regard où il peut sauf dans le sien.

ParisCâlin métallique
Métro Ligne 1.
Père, mère, fille.
Complices et rangés en cercle autour de la barre qui va du sol au plafond.
Le père lance un câlin collectif, en les attrapant toutes les deux.
Elles parviennent à toucher les épaules l’une de l’autre.
La barre ne parvient pas à les empêcher de profiter pleinement de cet instant.

ParisCalculs
Métro Ligne 13.
Il a une quarantaine d’année.
Il se tient à une main à la barre du métro.
Il a son portable dans l’autre.
L’application calculette est ouverte.
24-17…
Il regarde dans le vide, réfléchit, clique sur = et sourit.
34-24…
même regard dans le vide.
=10.
Il sourit encore plus et a l’air fier de lui.

LuxembourgL’impatient
Le bar ferme.
Dans l’arrière salle il y a des trois grandes tables avec des banquettes circulaires.
Un serveur est assis à celle du milieu.
Seul.
Portable à la main.
Il lit.
Il sourit.
Et il jette un regard impatient aux 12 que nous sommes trainant à partir.

LyonLe danseur invisible
Metro B.
Elle regarde Japan’s got talent sur son iPhone.
Elle sourit, elle ouvre grand les yeux, elle est à fond pour ce candidat ventriloque.
Il est à un mètre d’elle, il a des écouteurs et il exécute des mouvements de danse d’une précision remarquable.
Elle ne le voit pas.
Elle se lève, les yeux rivés sur son téléphone, pour sortir par la porte devant laquelle il se tient.
Il jette un œil sur son écran sans s’arrêter de danser.
Elle sort.
Sans le voir.
Il va danser devant une autre porte.

LausanneLe jogging du pêché
Avenue de Grancy.
Elle est en tenue de sport dernier cri.
Elle se prépare à courir.
Mais avant, elle trottine en direction d’une poubelle publique.
Y vide un sac en papier.
Mon angle de vue change à ce moment.
Le sac porte un gros M jaune sur fond rouge plutôt célèbre.
Elle s’appuie sur ce dernier comme pour le cacher.
Elle me regarde.
Regarde à l’opposé.
Termine de l’enfoncer dans la poubelle.
Elle se met à courir.

LausanneEspion et crayon
Métro.
Il est assis en face d’elle.
Dans le couloir.
Inconnus.
Il a un petit cahier dans lequel il dessine.
Elle porte un chapeau et semble écrire un sms.
En sortant du métro je jette un coup d’oeil sur le carnet.
C’est elle qu’il dessine.

Paris – Pigalle
Nous marchons, tous bien équipés contre le froid du mois de mars.
Écharpes et manteaux.
Une voiture passe.
Fenêtre ouverte.
Elle rit, elle a les cheveux au vent et pas de manteau.
A elle toute seule, elle nous rappelle que le printemps arrive bientôt.

Lausanne Théorie appliquée.
Une fille en face de moins.
Kit main libre.
Crop top et piercing au nombril.
Elle répète en boucle.
« Tu me sers à quoi? Hein? Franchement tu me sers à quoi? Tu ME sers à quoi? ».
Sac en papier kraft à la main, portant le slogan « put yourself first ».

Genève AéroportUn grand garçon
Il a 60 ans et poursuit un trentenaire qui vient de passer la porte des arrivées.
Il lui hurle dessus.
Interloqué, l’autre enlevé ses écouteurs et lui dit qu’il fallait se pousser.
Ils hurlent encore.
Il reprend son chemin et revient se positionner face à la porte.
Une vieille femme très souriante arrive.
Il l’embrasse.
Sa mère (symétrie familiale encore).
Il pointe le parking et ouvre la marche.
Il essuie quelques larmes sans qu’elle le voie.

LausannePiscine et Biceps
Une petite fille de 4 ans.
Sa grand maman.
Elles s’étalent de la crème solaire.
La petite lui montre à quel point ses biceps sont musclés.
Sa grand mère vérifie et valide.

Lausanne GARE – La coulée
Il porte une chemise d’employé de la Coop.
Un casque Bluetooth sur les oreilles.
Il mange un sandwich en regardant une vidéo sur son portable.
Il s’essuie consciencieusement la bouche avec une serviette sans quitter des yeux son écran.
Il ne remarque pas la coulée de sauce blanche qui trône sur sa poitrine.

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